Réforme de l’Impôt sur les Sociétés : Vers une Taxation Plus Équitable ou un Risque de Distorsions ?

Le projet de loi de finances pour 2025 propose une réforme significative de l’impôt sur les sociétés (IS), introduisant un barème progressif en fonction du chiffre d’affaires des entreprises. Cette mesure vise à modifier les taux d’imposition pour divers secteurs d’activité, mais elle soulève également des questions cruciales sur ses implications pratiques.

Un Nouveau Barème d’Imposition

Le projet de loi prévoit que les secteurs d’activité, à l’exception de ceux déjà soumis à un taux réduit de 10% (activité artisanale, agricole, de pêche de soutien, dans les zones de développement régional et de lutte contre la pollution) et ceux assujettis à un taux de 35% (autre que les activités du secteur bancaire et des assurances), soient soumis à un barème progressif. Les nouveaux taux d’imposition seraient :

  • 15% pour les entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 5 millions de dinars.
  • 20% pour celles dont le chiffre d’affaires se situe entre 5 et 20 millions de dinars.
  • 25% pour les entreprises réalisant un chiffre d’affaires supérieur ou égal à 20 millions de dinars.

Impacts et Enjeux de la Réforme

Bien que cette réforme cherche à répondre à des préoccupations fiscales, principalement d’ordre budgétaire, plusieurs points critiques méritent d’être examinés :

1.Divisions Artificielles des Grandes Entreprises

Avec cette réforme, les entreprises pourraient être tentées d’ajuster leur chiffre d’affaires pour rester en dessous des seuils établis, afin de bénéficier de taux d’imposition plus bas comme elles pourraient être incitées à recourir au maintien artificiel de leur chiffre d’affaires sous ce seuil, principalement par des divisions artificielles d’entreprises. Ce phénomène de « tax avoidance » ne pourra que nuire à la transparence et à l’intégrité du marché, entraînant une concurrence déloyale entre entreprises.

2.Frein à la Croissance

Les sociétés dont le chiffre d’affaires s’approche des 5 millions de dinars ou des 20 millions de dinars pourraient restreindre leur croissance pour éviter une hausse de leur taux d’imposition. Cela pourrait créer une dynamique de marché stagnante et décourager l’innovation, limitant ainsi la compétitivité globale de l’économie.

3.Impact sur les Investissements Directs Étrangers (IDE)

L’augmentation du fardeau fiscal pour les grandes entreprises pourrait créer un véritable vent de recul pour les IDE. Si les investisseurs perçoivent une augmentation de l’imposition comme un obstacle à la rentabilité, cela pourrait les amener à chercher des opportunités dans d’autres juridictions plus favorables fiscalement.

Il est également frappant de constater qu’au cours de la dernière décennie, les entreprises industrielles totalement exportatrices en Tunisie ont subi une transformation fiscale majeure. Alors qu’elles bénéficiaient presque d’une exonération totale jusqu’en 2017, elles ont progressivement vu leur régime passer d’une déduction intégrale de leurs bénéfices à l’exportation à une imposition de 10 %, avant que tous les avantages fiscaux ne soient supprimés en 2019 pour les aligner sur le régime fiscal de droit commun. Cette évolution s’est poursuivie en 2021 avec une nouvelle augmentation du taux de l’impôt sur les sociétés (IS), passant de 10 % à 15 %, sans oublier la contribution sociale de solidarité (CSS) et l’imposition de 10 % sur les bénéfices distribués aux associés non-résidents.

Face à cette évolution, les investisseurs pourraient hésiter à s’engager, se demandant si le jeu en vaut vraiment la chandelle dans un environnement fiscal en constante mutation.

4.Inégalités Sectorielles

Un même taux d’imposition appliqué à des secteurs ayant des marges bénéficiaires très différentes ne va pas manquer de désavantager certaines entreprises. Les secteurs à faibles marges pourraient se retrouver pénalisés, tandis que d’autres, avec des coûts fixes plus élevés, pourraient voir leur compétitivité affectée face à des concurrents internationaux qui bénéficient de régimes fiscaux plus cléments.

5.Complexité Administrative Accrue

L’introduction d’un barème progressif basé sur le chiffre d’affaires ajouterait une complexité administrative considérable, tant pour les entreprises que pour l’administration fiscale. Il est crucial de se rappeler que l’administration fiscale est déjà en plein chantier de digitalisation avec la mise en place de la plateforme Tej pour la gestion des retenues à la source. Cette nouvelle réforme ne pourra que compliquer cette transition.

En résumé, la réforme proposée cherche à adapter la fiscalité en fonction des seuils de chiffre d’affaires. Cependant, elle engendre des risques significatifs, notamment la manipulation des chiffres d’affaires, des distorsions de la compétitivité et des effets négatifs sur l’attractivité des investissements.

Faut-il rappeler que d’autres pays qui ont adopté des systèmes similaires le font généralement dans le but d’offrir un taux réduit aux petites entreprises, tout en maintenant un taux standard plus élevé pour les autres. Ce modèle a été la norme dans de nombreux systèmes fiscaux, y compris celui de la Tunisie jusqu’à présent.

L’enjeu est désormais de trouver un équilibre qui préserve l’équité fiscale tout en stimulant la croissance économique.

Anissa Dachraoui

Conseil Juridique et Fiscal

Managing Partner

AD-FIDAL TUNISIE

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