De la Décriminalisation à la Digitalisation : La Réforme des Chèques en Tunisie

Déposé entre les mains des députés depuis le 29 mai 2024, le projet d’amendements de l’article 411 du code de commerce relatif aux chèques sans provision a été de nouveau amendé par le gouvernement, qui a rendu public la nouvelle mouture le lundi 15 juillet. Alors que le texte soumis au parlement au mois de mai ne touchait que l’article 411 du code de commerce. Le nouveau texte de juillet comprend six articles et amende les articles 410, 411 et 412 du même code.

Nous vous présentons ici une analyse détaillée des principaux points de ce nouvel amendement.

  • Plafonds pour les chéquiers

Chaque carnet de chèques sera soumis à un plafond global, déterminé en fonction des capacités financières de l’émetteur, comme c’est le cas lors d’une demande de prêt. Chaque feuille de chèque aura également un plafond spécifique, ne pouvant dépasser 30 000 dinars. Cette mesure qui semble être unique par comparaison aux standards internationaux vise à réduire les montants élevés des chèques en circulation et à encourager les virements pour les transactions importantes.
Toutefois, le plafond fixé par la Tunisie pourrait également contraindre les transactions légitimes de grande valeur, nécessitant un recours systématique aux virements bancaires.

  • Validité et renouvellement des chéquiers

Les chéquiers auront désormais une durée de validité de six mois, obligeant les clients à renouveler leurs carnets deux fois par an, permettant ainsi de garantir la fiabilité des informations financières des émetteurs. 

  • Traçabilité des transactions par chèque 

Tous les chèques devront être barrés, rendant obligatoire la mention du bénéficiaire et abolissant la mention “au porteur”. Les chèques barrés ne peuvent être encaissés que par une banque, ce qui aligne la Tunisie avec les standards internationaux et devrait réduire considérablement le risque de vol des chèques et de leur utilisation frauduleuse. De plus, en limitant l’encaissement direct, il devient plus facile d’identifier et de tracer les transactions, augmentant ainsi la sécurité des transactions financières. Cette mesure encourage également l’ouverture et l’utilisation de comptes bancaires, contribuant ainsi à une meilleure inclusion financière et une économie plus transparente et plus facile à réguler.

  • Vérification en temps réel de la solvabilité de l’émetteur de chèque 

Une nouvelle plateforme, gérée par la Banque centrale de Tunisie, permettra de vérifier en temps réel la solvabilité de l’émetteur pour chaque chèque, assurant ainsi une plus grande sécurité pour les transactions.

Le bénéficiaire qui accédera à la plateforme devra entrer le code spécifique du chèque et vérifier si son émetteur a suffisamment de fonds pour le couvrir sans toucher ou consulter ses données financières ou personnelles. En cas de disponibilité d’un solde suffisant, il procédera au blocage de la provision nécessaire en ligne et recevra immédiatement une notification. Le montant réservé restera à sa disposition jusqu’à l’expiration de la date de validité du chèque à laquelle s’ajoute 8 jours ouvrables. La banque sera solidairement responsable avec l’émetteur, de son paiement immédiat au bénéficiaire à la date de sa présentation, même en cas d’indisponibilité totale ou partielle de la provision.

  • Décriminalisation des chèques sans provision d’un montant de 5.000 dinars ou moins

Le projet de loi décriminalise les chèques sans provision d’un montant inférieur ou égal à 5.000 dinars, supprimant les peines de prison et allégeant ainsi la charge des tribunaux. Cela permettra de concentrer les ressources judiciaires sur des affaires plus graves. Parallèlement, le projet assure que les créanciers reçoivent quand même leur dû en mettant à la charge de la banque la responsabilité de payer tout chèque sans provision d’un montant de 5.000 dinars ou moins, à charge pour elle, par la suite, de poursuivre son client. Cette mesure devrait inciter les banques à améliorer leurs systèmes de vérification des comptes et à mieux gérer les risques liés aux chèques sans provision.

  • Poursuites pour les chèques sans provision d’un montant supérieur à 5.000 dinars 

Pour les montants supérieurs à 5.000 dinars, les poursuites seront engagées par le bénéficiaire, et non plus par la banque, avec la possibilité de réconciliation via des intermédiaires sur la base d’un accord à conclure devant le procureur qui inclut la fixation d’une période de règlement et la suspension des poursuites ou la résolution par voie de médiation. Le projet de loi stipule également que le paiement ne concernera que le montant du chèque, éliminant ainsi les frais de notification bancaire (170 dinars) ou les amendes.  La peine d’emprisonnement pour les chèques sans provision supérieurs à 5 000 dinars est réduite de cinq à deux ans, avec une amende de 10.000 dinars, démontrant l’adoption par le législateur d’une approche plus clémente, tout en maintenant une dissuasion importante.

  • Quel sort pour les actuels poursuivis ? 

Actuellement, les émetteurs de chèques retournés impayés doivent payer les chèques pour arrêter les poursuites pénales, ce qui est une équation difficile. Pour ce volet, le projet de loi prévoit deux propositions concernant les prisonniers et les fugitifs de la justice, à cause des chèques sans provision :   Soit un paiement partiel de la valeur des chèques, avec un engagement à s’acquitter du reste, soit le paiement du tiers de la valeur des chèques en litige, avec un engagement de payer le reste pour quitter la prison et mettre fin aux poursuites judiciaires. La Tunisie, en adoptant cette approche, pourrait réduire la surpopulation carcérale et permettre une réhabilitation plus humaine des contrevenants.

  • Réduction du rôle des huissiers et émergence de l’arbitrage 

Actuellement, en plus du payement du chèque, le tireur qui se retrouve dans une situation d’insuffisance de provisions doit régler à la banque tirée les frais que celle-ci a avancés à l’huissier-notaire et ce, avant même l’expiration du premier délai légal de régularisation. La responsabilisation des banques par le projet de loi pour le paiement des chèques inférieurs à 5.000 dinars en cas d’insuffisance de fonds, supprimera l’intervention automatique des huissiers et par conséquent les frais liés à leur intervention. Pour les montants supérieurs à 5.000 dinars, Tout le processus sera géré par la plateforme de la Banque Centrale, y compris le certificat de non-paiement qui sera généré électroniquement et gratuitement. Il ne sera plus communiqué par le biais d’un huissier-notaire. Le fameux article 411 risque manifestement de porter un coup très dur à l’activité des huissiers qui jusque-là, gardent le silence.

Cependant, le projet de loi favorise l’émergence de l’arbitrage comme nouvelle pratique pour régler les litiges financiers Les notaires pourront désormais intervenir pour trouver des accords à l’amiable entre les parties. L’arbitrage devrait connaître une croissance, offrant une alternative plus rapide et moins encombrée par rapport aux procédures judiciaires traditionnelles.

  • Prochaines étapes : 

La Commission législative générale de l’ARP qui s’est réunie, vendredi 19 juillet, pour examiner les projets de loi n°51-2024 (déposé au parlement le 29 mai 2024) et n°60-2024 (déposé le 11 juillet courant ) amendant l’article 411 du Code de commerce en présence des représentants des ministères de la Justice et des Finances, ainsi que ceux de la Présidence du gouvernement, a décidé de fusionner les deux projets de loi dans un seul texte unifié amendant et complétant l’article 411 du Code de commerce. Il semblerait que les députés ont présenté plusieurs propositions pour amender certains de ces articles.

L’Équipe Juridique

AD-FIDAL TUNISIE